En juin 2016, Carine, son mari et leurs trois enfants enregistraient sept valises à l'aéroport de Strasbourg. Destination : Celeveland, dans l'Ohio, où ils allaient passer les 12 mois à venir. Pendant une année, j'ai suivi le récit leur quotidien sur un blog,
My Little Parenthèses. Au fil des billets, j'ai partagé son émerveillement (wow, des biches devant l'appartement !), mais aussi ses frustrations (encore une chute de neige ?!) et son inquiétude face aux déboires medicaux de l'une de ses twincesses. Après plusieurs échanges privés, je me suis attachée pour cette femme dynamique, optimiste, gourmande (nous partageons le même goût pour
Map Chocolate !) et réaliste.
A son retour en France, j'ai voulu en savoir plus sur cette parenthèse américaine ainsi que sur les réalités de sa réinstallation strasbourgeoise. Aujourd'hui, je suis heureuse de publier son témoignage, en espérant, pourquoi pas, qu'il vous encourage à ouvrir votre propre parenthèse.
1) Bonjour Carine, merci d'avoir accepté de répondre à mes questions sur ton expérience aux Etats-Unis, peux-tu te présenter en quelques lignes ?
Hello, Estelle, nous vivons en Alsace depuis une douzaine d’années où nous avons débarqué un jour pour raisons professionnelles, avec mon mari et mon fils. Pour ce même motif, nous savions qu’un jour ou l’autre mon conjoint devrait partir à l’étranger, dans le cadre de son année de mobilité.
Entre temps, nos jumelles sont nées ; je faisais un peu l’autruche concernant cette question. Et puis un jour « la mobilité » est revenue dans nos conversations pour se faire de plus en plus précise… ce qui m’inquiétait beaucoup. Pour nous, hors de question d’être séparés un an. Nous avons donc décidé de partir en famille.
Cleveland... Le mot était lâché.
Cleveland, dans l’Ohio, aux Etats-Unis, à quelques heures en voiture du Canada. Autrement dit : le grand froid. Honnêtement, c’est tout ce que j’ai vu. Au début, du moins. Puis de recherche en recherche,
je suis tombée sur le blog - qui n’est plus accessible malheureusement - d’une Française expatriée en famille à Cleveland, qui m’a totalement rassurée et même je dois dire, donnée envie d’y aller et de tenir moi aussi un blog sur notre année.
Je n’y voyais plus le problème des températures extrêmement basses mais une formidable opportunité, en particulier pour nos enfants. Mon fils qui allait bientôt fêter ses 18 ans, avait été diagnostiqué, enfant, avec un trouble mineur du spectre autistique, le syndrome d’Asperger. Comment découvrir le monde, une autre façon de vivre, en ayant sa famille à côté ?
Alors du point de vue académique, il a « perdu » une année de lycée en France mais ce qu’il a gagné est incomparable. Nos filles âgées de 4 ans et demi à l’époque allaient apprendre l’anglais, l’âge parfait pour une seconde langue.
L’établissement qui devait accueillir mon mari a initié la procédure pour que nous obtenions nos visas. Après plusieurs mois d’attente, une histoire de sponsor sans lequel nous ne pouvions partir et beaucoup de paperasse administrative, nous avons quasi tout vendu, stocké quelques cartons chez un collègue de mon mari et nous sommes partis avec nos 7 valises.
2) Tu as passé une année dans l'Ohio : comment s'est passée ton adaptation et celle de ta famille ? (n'hésite pas ici a parler de la scolarisation de tes enfants mais aussi de l'adaptation climatique, il me semble que tu as passé un hiver assez rude !)
Les premières semaines ont été très difficiles, le temps d’emménager, surtout que nous n’avions pas de voiture les quinze premiers jours. Et clairement, dans l’Ohio, quand on n’a pas de véhicule pour se déplacer, on ne peut strictement rien faire.
Mais nous avons eu la chance d’être accueillis par un couple d’Américains francophones et francophiles qui sont devenus nos amis au fil du temps. Ma nouvelle copine me véhiculait de temps en temps ce qui m’a énormément rendu service. Le fait d’arriver en été nous a permis de prendre nos marques plus facilement que si nous étions arrivés sous la neige et le froid.
Cette adaptation s’est vite faite finalement, en grande partie grâce à ces personnes adorables, malgré quelques grosses galères : un délai d’activation pour accéder au compte bancaire qu’on venait d’ouvrir qui s’est éternisé sans raison - alors que les dépenses liées à notre installation s’accumulaient : un dégât des eaux le premier jour de notre installation et une consultation médicale d’urgence, avec la découverte d’une médecine à deux vitesses où mieux vaut avoir une très bonne assurance privée pour ne pas s’endetter à vie pour se faire soigner.
Nous avons inscrit notre ado au lycée public de la charmante ville de Beachwood où nous nous étions installés, à une petite demi-heure de voiture de Cleveland. Un très bon lycée gratuit doté d’un beau budget, ce qui n’est pas le cas pour tous les établissements scolaires publiques aux Etats-Unis
; une des raisons pour laquelle nous avions choisi cette ville d’ailleurs.
Pour nos filles, cela a été plus compliqué car l’école ne commence officiellement qu’aux 5 ans
révolus de l’enfant, avec le kindergarten (ce qui correspondrait, pour mieux comprendre, à la grande section de maternelle française), nous n’avons donc pas pu inscrire nos filles à l’école publique. Ce n’était pas une surprise car j’ai fait beaucoup de recherches sur la vie aux Etats-Unis avant notre départ. Nous avions deux possibilités : faire l’école à la maison ou les inscrire dans un établissement privé qui propose des classes de
preschool (l’équivalent des deux premières années de maternelle), moyennant finance (un gouffre financier, peut-on dire !). Nous avons décidé de les inscrire en preschool, par demi-journées, pour leur offrir l’opportunité d’apprendre plus facilement l’anglais et pour continuer leur scolarité commencée en France.
A la fin de l’été, nous étions comme chez nous. Je me souviens de moments, en train de faire des tâches du quotidien et puis réaliser d’un coup, « mais wahou, on l’a fait ! ». C’est un peu fou, non ? Nous étions aux Etats-Unis, comme si tout était normal, comme si nous y vivions depuis des années.
Les semaines ont passé et nous avons découvert les saisons bien marquées qu’offre l’Ohio. L’automne et ses couleurs magnifiques, un vrai coup de cœur, et la folle course aux décorations de saison qui commencent dès la fin août,
c’est très commercial certes mais finalement on se prête au jeu, moi j’ai adoré. Halloween pour ne pas se prendre au sérieux, Thanksgiving et ses gratitudes…
Sont arrivés la neige et le froid. Mais ce qui justement me faisait peur, surtout avec de jeunes enfants, s’est transformé en découverte presque hypnotisante ! Cette neige qui tombait en quantité phénoménale m’attirait. Tant et si bien que dès 6h du matin, alors que tout le monde dormait encore, je prenais mon café dehors sur mon patio, même par -20°C, en température ressentie. Je guettais le thermomètre et me hasardais aux pronostiques : les écoles seront-elles fermées le lendemain ?
Les premiers temps, j’avais peur de rater l’information et nous retrouver frigorifiés devant une école fermée mais finalement, on ne peut pas passer à travers. Un appel téléphonique automatisé dès 5h45 du matin, puis un e-mail du directeur, de l’enseignante, l’annonce à la radio, à la télévision...
Moi qui avait arrêté de conduire en France car cela me stressait, j’ai dû aller au-delà de mes peurs et reprendre la conduite, j’ai même dû conduire sous des tempêtes de neige. Très impressionnantes les tempêtes de neige à effet de lac ! Notre séjour ne durant qu’une année, nous avions décidé de ne prendre qu’une seule voiture, donc je faisais la navette entre le travail de mon mari à Cleveland-même, le matin et le soir, pour pouvoir récupérer mes filles à l’école à midi. J’ai été vraiment impressionnée par l’organisation du déneigement des routes. Et comme nous avions loué un parking en sous-sol, finalement je ressens plus le froid en Alsace que ce que j’ai pu le ressentir dans l’Ohio.
La location de notre garage en sous-sol était une très bonne chose : nous quittions notre logement sans avoir à sortir dans le froid, déneiger la voiture et gratter les pare-brise avec les enfants qui attendent et s’impatientent ; et les parkings étaient proches des bâtiments où nous nous rendions, donc pas le temps de souffrir du froid ; par contre, il faut prendre son temps sur la route, entre le patinage des pneux et les pare-brise qui gèlent en cours de route… ça surprend au début ! L’hiver était peu rigoureux selon les dire, bien que le thermomètre a tout de même affiché des -29° C la nuit. Enfin, cela donne de très beaux paysages. D’ailleurs on peut observer des scènes vraiment fascinantes sur les rives du lac Erié : des sculptures de glace qui sont en fait des phares complétement gelés. Cette photo de phare gelée n’est pas la mienne mais celle de Christine Cox -qui m’a gentiment autorisée à la partager- dont j’ai découvert les magnifiques clichés sur Cleveland et l’Ohio, sur son compte Instagram.
3) Votre expatriation n'a finalement duré qu'un an : que retiens-tu de cette expatriation (habitudes alimentaires, comportements, etc) ? (est-ce que tu aurais voulu rester plus longtemps ? n'hésite pas a inclure des anecdotes pour mettre un peu de couleur) Comment cette expatriation a t'elle changé ta famille ?
Quand on parle des Etats-Unis, souvent vient en tête le fameux burger/frittes et soda à volonté. Ce qui n’est pas faux, au fond. J’ai été assez choquée de constater que la malbouffe est très présente malheureusement parce que abordable. Un burger de fast food, bien gras et un soda reviendront bien moins cher qu’une salade complète ; en plus, c’est rapide, expédié en quelques minutes et aux Etats-Unis, on aime bien manger vite en règle générale.
Pour autant, on peut trouver de bons produits, manger sain, équilibré, mais cela demande plus de temps et quelques connaissances : lire les étiquettes et surtout les décrypter, privilégier le fait-maison au détriment du prêt à consommer industriel. J’ai grandi dans une famille où les repas étaient toujours composés de façon équilibrée, donc j’avais déjà cette culture du fait-maison. Par contre, de notre parenthèse américaine, j’ai appris à faire très attention à la composition des produits et leur provenance, pour éviter le fameux sirop de maïs très présent dans beaucoup de produits, surtout là où on ne l’attend pas, même constat pour l’huile de palme, les viandes bourrées d’antibiotiques, les OGM et les mentions telles que « product of USA ». Pour ce dernier point, c’est la même chose en France finalement, on pense acheter un produit français et puis finalement on réalise qu’il a juste été mis en pot dans le pays.
Je me suis rendue compte que les normes alimentaires pouvaient varier d’un pays à un autre, par exemple, je peux te dire que j’ai été très surprise de savoir que la loi Américaine autorise l’utilisation de pesticides sur les plans de fraisiers dits « bio », jusqu’à ce qu’apparaissent la fleur… ce qui a changé ma façon de consommer et que j’ai gardé depuis : acheter, tout d’abord et dans la mesure du possible, des produits de saison, ensuite plutôt que du bio issu des grandes chaines industrielles, essayer de privilégier les produits locaux, de culture raisonnée.
Durant notre séjour, j’ai découvert et appris à accomoder avec gourmandise le kale, la patate douce, les variétés de courges impressionnantes, de toutes formes, couleurs et tailles, ainsi les canneberges fraiches et les myrtilles sauvages. Autres produits coup de cœur, made in USA :
le chocolat artisanal grâce à ton blog et le sirop d’érable pour lequel nous avons assisté à sa transformation dans une érablière et qui a fait partie de mes indispensables en cuisine tout au long de cette parenthèse. Cela me manque beaucoup. Oui cette vie dans l’Ohio me manque et j’aurais vraiment apprécié y rester plus longtemps.
4) Vous voilà de retour à Strasbourg depuis 3 mois : comment se sont passées les premières semaines en France ? (Quelles ont été les difficultés à ton retour ? Qu'est-ce que tu as été heureuse de retrouver ?)
Le retour a été très difficile, cela m’a vraiment surprise. Nous connaissions bien l’Alsace, bien que triste de quitter l’Ohio, je me réjouissais de retrouver les petits commerces, la gastronomie française, le charme des rues piétonnes de Strasbourg. Et finalement, nous avons été confrontés à ce fameux choc culturel inversé dont on parle mais n’étant restés qu’un an, je ne pensais vraiment pas que nous serions concernés.
Nous sommes arrivés sous la canicule, dans un appartement situé dans une zone très bruyante du centre-ville ; nous qui voyions passer des biches sous nos fenêtres, dans l’Ohio, cela ne pouvait plus nous convenir. Nous cherchions la fraicheur dans les magasins mais même là, on ne l’a pas trouvée car nous étions habitués aux grosses climatisations américaines (alors que je ne les supportais pas l’été de notre arrivée, j’étais obligée de porter des manches longues pour faire mes courses ainsi que dans les restaurants). Malheureusement, les vendeurs sur lesquels nous sommes tombés dans les trois premiers magasins où nous nous sommes rendus étaient gracieux comme des portes de prison. Il ne faut pas généraliser, nous avons aussi des commerçants très accueillants en France mais là cela faisait beaucoup, sans compter le manque de sommeil dû au décalage horaire et aux bruits de la ville.
Je me suis heurtée à l’incivilité de personnes dans la rue, ceux qui promènent leur chien et ne ramassent pas après eux, si tu vois ce que je veux dire. Ca on ne l’aurait pas vu dans l’Ohio. Je ne disais rien jusqu’au moment où j’ai osé faire une réflexion dans un parc pour enfants, à une personne qui promenait son chien alors que non seulement l’accès leur était interdit mais en plus, l’a laissé faire dans le bac à sable. En retour, je me suis fait insulter. Je n’ai pas répliqué, j’étais avec mes enfants. J’avais juste envie de refaire les valises et rentrer… « chez moi ?», dans l’Ohio. Tout est loin d’être rose aux Etats-Unis, certaines choses font peur, les violences raciales avec le suprématisme blanc, se faire soigner correctement demande d’avoir une très bonne assurance qui coûte très cher, perdre son emploi peut arriver du jour au lendemain, mais dans l’ensemble le positivisme et la politesse sont là, le gens se plaignent moins et surtout, là où je vivais si j’avais dû faire une réflexion comme j’ai dû le faire à cette personne dans le parc, j’aurais plus eu des excuses que des insultes.
Le côté administratif français m’a aussi demandé beaucoup de « zénitude », je me suis heurtée à une grande incompréhension quand on m’a dit que mon fils (qui avait fait toute sa scolarité en France hormis cette année Américaine) serait convoqué pour passer des tests de français et de connaissances… alors que je n’ai rencontré aucune difficulté à inscrire mes enfants aux Etats-Unis.
Notre famille ne résidant pas en Alsace, le premier plaisir retrouvé, je dois l’avouer, aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est fait au rayon fromagerie d’un supermarché, la gastronomie française, rien de tel pour remonter un moral en berne ! Ce jour-là, nous avons dévalisé le rayon.
5) Quels seraient tes conseils pour une future famille expat ?
L’expatriation doit être une décision de couple, si elle est subie par l’un, elle engendrera des tensions supplémentaires. A l’étranger, on est plus vulnérable, sans famille, sans amis qui puissent comprendre les difficultés ou la frustration du conjoint qui quitte tout pour suivre. Lorsqu’on quitte son pays, on abandonne aussi son cocon, son confort et ses petites habitudes. Hormis si l’on peut faire suivre ses affaires personnelles, cela demande un sacrifice matériel qui peut-être déstabilisant.
Concernant les Etats-Unis spécifiquement, j’aimerais insister sur l’importance de bien se renseigner sur le coût de la vie, la scolarisation peut être une grosse surprise et bien sûr,
ne jamais partir sans une assurance médicale voire dentaire qui prend effet dès le premier jour sur le territoire. Lorsqu’on arrive dans le cadre d’un travail, on ne commence pas forcément le premier jour et si l’on bénéficie d’une assurance par l’employeur, elle ne démarrera généralement qu’une fois le poste pris. Et, là, les surprises peuvent arriver et se transformer en cauchemar. Surtout avec des enfants. Un accident est vite arrivé, une maladie qui se déclare. Les consultations et les soins coûtent très cher et cela n’arrive pas qu’aux autres.
Réorganiser sa vie «ailleurs » demande beaucoup d’énergie mais cela peut être compensé (pour moi du moins) par la richesse de découvrir une autre culture et un autre mode de vie.